Ni Charlie, ni Coulibaly
Le double attentat de début janvier a soulevé beaucoup d’émotion, puis rapidement des réactions très contrastées. Si la tuerie dans l’hypermarché cacher, motivée par la haine antisémite, ne provoque que de la tristesse pour les victimes et la condamnation du fanatisme religieux, le massacre à Charlie Hebdo a davantage cristallisé les débats et les interprétations.
Le pouvoir est prêt à faire la part belle dans ses médias aux réactionnaires de tous bords. Ainsi, la parole est donnée aux représentants de toutes les confessions, toujours prêts à nous abreuver de morales religieuses, puis aux représentants de la bourgeoisie de l’extrême droite à la gauche. Tous sont appuyés dans leur discours par une troupe d’intellectuels dégénérés ou corrompus nous servant leur soupe sur le « choc de civilisation » et même sur la « guerre civile » ! Et nous serions obligés de choisir notre camp parmi eux !
Charlie Hebdo, de par la soumission politique dont a fait preuve hier sa rédaction et la récupération idéologique dont elle est victime aujourd’hui, s’est attiré l’antipathie de toute une partie de la population qui réclame aujourd’hui le droit de dire « je ne suis pas Charlie ». Alors si je ne peux faire confiance en tous ceux -religieux ou laïc– qui ne font aucune différence entre exploiteurs et exploités, qui suis-je ?
Ni Charlie, ni Coulibaly
Défendre la liberté d’expression ce n’est certainement pas défendre Charlie Hebdo. Charlie Hebdo n’est pas une institution, ni la voix du peuple, c’est une création de la fin des années 60 qui disparaît faute de lecteurs au début des années 80. Le journal se reconstitue en 1992 autour de Philippe Val et de plusieurs dessinateurs vedettes des années 70. Mais si le journal veut se prévaloir d’un esprit moqueur, iconoclaste et de la liberté de ton de son prédécesseur Hara-kiri, il apparaît rapidement que les conflits au sein de la rédaction se concluent, non par une pluralité de ton, mais par les démissions ou le licenciement des voix s’opposant au très libéral Philippe Val.
La rédaction de Charlie Hebdo est soumise au même jeu hypocrite que l’ensemble de la presse bourgeoise. Ces dessinateurs apparaissent régulièrement un peu partout dans la presse nationale et dans des émissions TV. Dans Charlie Hebdo une seule publicité, c’est la Une de Libération. On a vu plus indépendant ! Autre exemple, classique du conflit d’intérêts et révélateur des ponts existant entre Charlie Hebdo et les intérêts de la bourgeoisie : Richard Malka, avocat du journal et de … Clearstream ! Rappelez-vous cette société luxembourgeoise aux comptes occultes qui fut au cœur de plusieurs affaires politico-financier et industrielles en 2001 et 2006. Rappelons surtout que Philippe Val sous la pression du camp Sarkozy licencia Siné, dessinateur historique du journal, sous l’accusation infamante d’antisémitisme. Val en fut récompensé par sa nomination à la direction de France Inter où il continuera son travail de chien de garde sarkozyste renvoyant à tour de bras des journalistes et surtout des humoristes. Donc, même si dans ses rangs le journal compte quelques personnalités sympathiques et sans doute proches du peuple, Charlie Hebdo n’est pas moi, il ne parle pas pour moi et je ne m’y reconnais pas.
Charlie Hebdo est un journal commercial comme les autres qui se vend lorsqu’il crée le buzz. C’est un journal de dessins, il fait donc des caricatures. Le journal étant marqué par l’empreinte soixante-huitarde, il a toujours été très anticlérical et antimilitariste. Ceux qui l’achètent sont prévenus, les cibles privilégiées sont l’église catholique et l’extrême droite mais le journal ne se gène pas pour se moquer de tous ceux qui tuent en masse. Ceux qui brandissent le droit coranique pour justifier des assassinats font d’avantage preuve d’un repli identitaire réactionnaire que d’une réelle conviction religieuse. De manière générale, la religion n’engage que celui qui y croit.
Cependant un journal même satirique mais proche du peuple n’aurait pas reproduit les caricatures danoises en 2006, en raison de la polémique, en particulier sur l’une de ces caricatures, et de la couverture médiatique plus que douteuse qu’elle suscita, On peut immédiatement soupçonner Philippe Val d’avoir cherché à vendre davantage de journaux pour se remplir les poches en reproduisant ces dessins, plutôt que contribuer au débat. Et lorsque, au-delà du buzz, on cherche quel est le véritable discours de fond de Charlie Hebdo, on se rend vite compte que l’anticléricalisme et la liberté d’expression sont des prétextes à géométrie variable. D’ailleurs quelques semaines après, Charlie hebdo publia un appel intitulé « Le manifeste des douze » sous les signatures –entre autres- de Val, Caroline Fourest et Bernard-Henri Lévy et qui commence ainsi :
« Après avoir vaincu le fascisme, le nazisme et le stalinisme : le monde fait face à une nouvelle menace globale de type totalitaire : l’islamisme ».
Je ne vous invite pas à lire la suite, tout est résumé là. Il n’est plus besoin de démontrer que la liberté d’expression aujourd’hui, c’est le droit pour quelques intellectuels soutenus par le pouvoir de balancer des âneries tout en se proclamant « démocrate » et « libre penseur ». Avec une telle analyse du monde géopolitique faisant abstraction de l’histoire et des rapports de domination entre les Etats, Charlie Hebdo se lance dans une croisade anti-islamique primaire en voulant nous faire croire que le plus grand danger contre la liberté d’expression et la « démocratie » c’est l’islamisme radical. C’est le jeu de peur et de division que nous sert l’idéologie dominante pour leurrer le peuple. C’est d’ailleurs le piège dans lequel nous enferme immédiatement le pouvoir bourgeois servit par l’Etat et les médias, en criminalisant, sous l’accusation d’apologie du terrorisme, tous ceux qui ne font pas le choix de l’union nationale. Car votre Démocratie c’est la liberté d’expression à sens unique !
Vos minutes de silences sont insupportables et rien d’étonnant à ce que pour la jeunesse sans avenir et sans repères précis, elles représentent, davantage l’occasion de faire entendre sa colère. La jeunesse emmerde la République, et elle a raison ! Cette République bourgeoise gouverné par l’argent et l’appropriation privée opprime chaque jour la population. Nous ne manifestons donc pas aux cotés des représentants de l’Etat français, israélien ou malien… Car ces gens sont directement responsables de la situation.
Le terrorisme a toujours un contexte, celui du terrorisme islamiste c’est l’Impérialisme.
Les organisations Islamistes émergentes sont le fruit des politiques des pays occidentaux aux Moyen-Orient et dans les pays arabes. L’impérialisme occidental -et avant tous américain- a financé, armé et formé toute cette nébuleuse djihadiste afin de la manipuler selon ses intérêts. Les islamistes ont été le bras armé des Etats-Unis contre l’Union Soviétique et, aujourd’hui encore, ils sont utilisés contre les régimes qui ne se soumettent pas suffisamment aux intérêts impérialistes comme en Libye ou en Syrie. En France, ces mêmes islamistes servent d’épouvantail pour servir une interprétation du monde selon un antagonisme religieux bidon et maintenir ainsi le peuple dans une opposition stérile. L’impérialisme a toujours favorisé les bourgeoisies locales alliées aux fondamentalistes religieux face à l’organisation du peuple sur des bases émancipatrices (comme par exemple le Hamas face au Fatah en Palestine). A chaque fois, les alliés islamistes d’hier deviennent les ennemis d’aujourd’hui et il n’est pas loin le temps ou Ben Laden fricotait avec les USA.
Ici, le chômage, la misère sociale, la ghettoïsation communautaire et l’absence d’organisations ouvrières fortes confinent la juste colère de la population à des discours religieux réactionnaires ou à l’apologie de la délinquance. Pour l’Etat français le terrorisme islamiste est largement préférable à un mouvement social qui serait capable de le faire vaciller. Il permet de justifier ses interventions impérialistes passées et à venir sous couvert d’une cause « juste ». Il permet de mettre en place une politique nationale de flicage et de répression. Le terrorisme islamique, s’il fait écho à un terrorisme d’Etat est pourtant loin de mettre en danger le pouvoir. Au contraire, il le nourrit et aujourd’hui les représentants politiques bourgeois ont tout le loisir d’utiliser cette peur pour maintenir leur domination.
Le peuple, qu’il soit en France ou en Irak, athée ou croyant, est partout la victime de la domination capitaliste. Il est avant tout le prolétariat face à la bourgeoisie. C’est enfin débarrassés de toutes ces divisions bidons que nous ferons en sorte que le monde de demain nous appartienne !
NEYA
Publié dans Combat n°38 Hiver 2015