Une journée de chien...

 

Il est 9h30 du matin, quand l’interphone me réveille. Une sonnerie, deux sonneries, puis j’me décide à me lever pour décrocher. « Bonjour, c’est pour mettre la publicité ». Ca fait au moins cinq fois que j’explique gentiment au type d’Adrexo, qu’il évite ma sonnette, que je travaille le soir et que sa pub, j’en ai, comme tout le monde, rien à cirer.

Mais cette fois j’en ai marre, je l’envoie bouler en lui promettant que la prochaine fois je descends lui faire sa fête. Mauvais réveil donc mais ce n’est pas grave, j’ai des trucs à faire ce matin. Ici à Marseille, depuis quelques temps, mon Bureau de Poste et la Préfecture n’ouvrent plus l’après-midi. Je m’active donc, et deux heures de file d’attente plus tard, je rentre, soulagé d’avoir fait avancer mes dossiers. Mais la journée s’annonce longue. J’ai un boulot au noir qui m’attend en soirée, et il faut absolument que je relance le Pôle Emploi. Ça fait 2 mois et demi que j’attends mon chômage, tout ça à cause d’un patron qu’a pas été foutu de me fournir en temps et en heure mes papiers « destinés aux ASSEDIC ». Résultat, deux mois de loyer de retard, une dent douloureuse en attente, des provisions alimentaires au rabais, une centaine d’euros d’agios cumulés, et un niveau d’essence dans la voiture que je scrute avec la peur au ventre. Bref, quand j’attends dans la file surchargée des « problèmes d’indemnisation » du Pôle Emploi, j’ai quelques raisons d’avoir les nerfs à vif. Surtout que je sais que le personnel administratif, en plus d’être en nombre insuffisant, passe une bonne partie de leur temps à faire le travail que les patrons devraient faire eux-mêmes en embauchant des secrétaires pour étudier nos CV et lettres de motivation… « Au suivant ». C’est à mon tour de passer devant le conseiller. Je lui explique mon problème, que je suis encore passé il y a trois jours, que ça fait bientôt trois mois que je n’ai pas de revenu… Et comme souvent d’un conseiller à l’autre, le discours change et, au lieu d’attendre, il faudrait à présent que je me procure auprès de mon ancien employeur un document regroupant les périodes travaillées des quelques soixante contrats en CDD effectués… et le tour serait joué !

Aussitôt dit, aussitôt fait. Un aller-retour plus tard, me revoilà au Pôle Emploi. Refusant de déposer l’ultime et précieux document manquant dans leur douteuse et impersonnelle boîte aux lettres, je parvins enfin, à force d’insister, à charger un employé, en chair et en os, de s’occuper de ma situation.

La première partie de journée s’achève. Pas vraiment le temps de manger. A 19h, je dois travailler pour un stand pizzeria de l’autre côté de la ville. Ça fait quelques semaines que j’assure, avec d’autres, des livraisons, et ce avec nos propres véhicules. C’est payé trente euros pour 5 heures de travail, 5 à 10 euros de pourboire en plus, mais faut déduire l’essence utilisée. C’est pas terrible, mais pour l’instant j’ai trouvé que çà pour vivre. J’arrive donc à ma voiture, quand j’aperçois un petit papier sur le pare-brise. Une pub ? Malheur, une contravention ! 11 euros ? Merde, c’est déjà passé à 17 ! J’avais pourtant mis une pièce la veille au soir et d’habitude, à Marseille, ça suffit pour la journée, tolérance et bon sens obligent. Cette fois le salopard de racketteur de service, n’a pas fait de cadeau, alors qu’il est évident que la pénurie chronique de place de stationnement n’offre aucune alternative aux habitants du quartier ! Tant pis, le mal est fait, le travail m’attend. D’autant que ce soir, le patron de la pizzeria va me mettre sur la confection des pizzas. J’ai jamais fait ça, mais au moins je me dis que j’apprendrai un truc et que ça m’évitera de brûler une partie de ma paye en essence. J’arrive au boulot et je prends ma place en cuisine. Je peine un peu la première heure, mais je finis par me débrouiller, à savoir aplatir la pâte correctement, à comprendre le truc, et à être productif. A la fin du service, après avoir aidé au nettoyage, le patron me dit : «tu peux y aller, j’ai plus qu’à fermer ». Je lui réponds que oui, mais que j’attends, comme chaque soir, ma paye. Il me dit « c’est pas payé ce soir, tu étais en formation » et il m’explique qu’ici on se rend des services, que c’est un petit boulot pas déclaré… Je suis ainsi obligé d’insister une demi-heure, de plus en plus énervé, pour qu’au final, ce porc lâche un pauvre billet de 20 euros. Evidemment, après lui avoir jeté mon tablier à la figure, je ne suis jamais revenu.

Pollution publicitaire, fermeture des bureaux de poste, dégradation des administrations publics, précarité de l’emploi, chômage, misère latente, banquier voleur qui t’enfonce, soins médicaux de plus en plus chers, pénurie organisée et racket d’Etat, petit-patrons véreux et grands-bourgeois qui profitent... Bref, je me dis en repensant à ce genre de journée de chien et à ce monde de merde, qu’il est grand temps de faire quelque chose !

Publié dans Combat n°24 Novembre/Décembre 2011